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Introduction à la musique de Martinu
par Patrick Lambert

L’actuel regain d’intérêt pour les compositeurs qui n’ont jamais prétendu être avant-gardistes fait que Martinu est reconnu aujourd’hui non seulement comme un des musiciens les plus féconds et complets du vingtième siècle, mais aussi comme un des créateurs les plus indépendants. Ceci ne signifie pas qu’au cours de sa longue route vers la maturité il n’assimila pas les nombreuses influences telles que l’impressionisme français, Stravinski, le jazz, le néoclassicisme et le madrigal anglais s’ajoutant à son eternelle passion pour les chansons du folklore tchèque et plus particulièrement morave. Pourtant, malgré ces influences diverses, chacune de ses oeuvres est pénétrée d’une personnalité distincte. Martinu attribua lui-même le caractère insolite de sa musique au lieu extraordinaire de sa naissance, une pièce sous les combles du clocher de l’église de Polichka en Bohème, où il allait passer ses douze premières années. Toute sa vie, il chercha à reproduire en sons le "sentiment d’espace" et les "formes pures" de la nature du milieu de son enfance. Il était donc sans doute inévitable qu’étudiant à Prague il succombe à la musique de Debussy, "la plus grande révélation" de sa vie.

Martinu, désireux de fuir le "culte de Smetana" des Tchèques et d’acquérir les qualités de l’art français qu’il admirait – l’ordre, la clarté, la mesure et le goût, décida d’aller suivre l’enseignement de Roussel à Paris. Mais le Paris cosmopolite des années vingt était révolu: l’impressionisme était mort, et la scène était dominée par le groupe des Six, le jazz et surtout Stravinski, qui démontra à Martinu que les sources folkloriques pouvaient être intégrées de façon convaincante dans la musique sérieuse. Il s’ensuivit une série de partitions pittoresques d’inspiration folklorique, inaugurées par le ballet pantomime Spalicek. Comme Stravinski, Martinu flirta brièvement mais réellement avec le jazz, par exemple dans le ballet La Revue de Cuisine et l’opéra Les trois souhaits; les réalités économiques des années trente le poussèrent également à s’intéresser aux formations de chambre. Le néoclassicisme devint l’influence dominante, et le concerto grosso du dix-septième siècle servit de modèle à toute une série d’oeuvres, dont plusieurs composées pour Paul Sacher et son Orchestre de chambre de Bâle. Le style animé et apparemment désinvolte cache une profonde émotion sous-jacente qui affleure dans le vigoureux Double Concerto écrit à la veille des accords de Munich, qui coupèrent le compositeur de sa patrie.

L’oeuvre-clé des années trente est néanmoins l’"opéra-songe" Julietta, dans lequel il abandonne sa manière "géométrique" néoclassique pour explorer L’univers souvent irrationnel de l’imagination avec sa "logique onirique" déterminée par la fantaisie. Dans la musique associée à l’insaisissable héroïne, le compositeur créa une série caractéristique de progressions harmoniques, les "accords de Julietta", basés sur la cadence morave – qui allaient souvent re-apparaître, tels une sorte d’"idée fixe", dans les moments importants des oeuvres postérieures. L’élément fantastique prit une importance croissante au cours des années quarante, où il s’efforça aux Etats-Unis d’atteindre à "un nouveau lyrisme, chose assez rare dans la musique moderne". Les cinq symphonies composées pendant la guerre pour des orchestres américains sont notables pour leur spontanéité et leur développement organique, la vigueur rythmique de leurs mélodies fortement syncopées, la rare beauté de l’harmonie, et surtout l’indéfinissable aura tchèque qui évoque un Dvorák moderne.

Dès les années cinquante, Martinu avait réussi à trouver le courage artistique et les moyens techniques de laisser libre cours à sa fantaisie, tout en conservant un sens de la forme presque intuitif. Cette approche atteignit son zénith dans des oeuvres de grande envergure comme les visionnaires Fantaisies symphoniques (Symphonie no.6) et les lumineuses Fresques de Piero della Francesca, dans lesquelles les textures néo-impressionistes sophistiquées annoncent les techniques aléatoires et évoquent un univers accentué de l’imagination. Parallèlement, il composa une série d’oeuvres plus prosaïques inspirées du folklore, des "saluts au pays" profondément poignants, avec une audacieuse simplicité et une rare pureté d’expression. Au cours de ces dernières années, le compositeur commença à aborder les questions fondamentales de l’existence humaine, sans aucune lourdeur ou sentimentalité exagérées. Cette tendance est perceptible dans La Passion grecque et Gilgamesch, et même dans des oeuvres non vocales comme Les Paraboles et Incantation (Concerto pour piano no.4). A propos de ce dernier, Martinu esquissa un credo qui devrait être encore plus pertinent pour les auditeurs du vingt et unième siècle:

"L’artiste recherche toujours le sens de la vie, la sienne et celle du genre humain, en recherchant toujours la vérité. L’incertitude a envahi notre vie quotidienne. Les pressions de la mécanisation et de l’uniformité auxquelles elle est soumise appellent une protestation, et le seul moyen qu’ait l’artiste de l’exprimer est la musique."

Patrick Lambert, 1997
(Chroniqueur à la radio et auteur d’ouvrages specialisés dans la musique des compositeurs tchèques, entre autres Janácek et Martinu)

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