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C'est en 1998 que sont parus les souvenirs de Varsovie des années 1939-45 de Wladyslaw Szpilman sous le titre Le Pianiste, tout d'abord en Allemagne. Mais rapidement, des éditeurs de tous les continents ont pris la suite, convaincus de la nécessité de rendre accessible à un large public ce document exceptionnel sur la Shoah. Grâce au film de Roman Polanski (The Pianist, 2002), qui a reçu tous les prix internationaux importants - dont trois oscars -, l'histoire authentique de ce musicien polonais d'origine juive a atteint des millions de spectateurs. Le titre original du livre de Szpilman, paru pour la première fois en Pologne dès 1946 et racontant sa survie pendant la seconde guerre mondiale à Varsovie sous l'occupation allemande, était La mort d'une ville. Il l'a rédigé juste après la guerre, encore sous le coup de la souffrance vécue et y rapporte l'enfer du ghetto, la déportation de sa famille au camp d'extermination de Treblinka à laquelle il échappa de justesse : quelqu'un, ayant reconnu le musicien célèbre et admiré, l'a soustrait à la foule vouée à la mort, lors du chargement du convoi, dans l'enceinte de transit à Varsovie. Il y témoigne aussi de la solidarité d'amis polonais qui l'ont hébergé après sa fuite du ghetto, ont risqué leur vie pour lui procurer des cachettes, jusqu'à ce qu'il fut découvert peu avant la fin de la guerre par Wilm Hosenfeld, un officier de la Wehrmacht qui lui sauva la vie, alors qu'il mourait de faim dans Varsovie presque totalement détruite. Le livre de Szpilman fut victime de la censure des nouveaux dirigeants communistes car il était tout sauf politiquement correct. Après les horreurs de l'holocauste, il était aussi inacceptable de nommer un officier allemand comme sauveur que des Polonais et des Ukrainiens comme collaborateurs dans l'extermination des juifs polonais. C'est ainsi qu'il fallut un demi-siècle avant qu'à l'initiative du fils de Szpilman, Andrzej, ce livre soit reconnu pour l'importance historique qui lui revenait dès le départ.

Cependant, derrière le livre et le film, disparaît la véritable personnalité de Wladyslaw Szpilman qui fut bien plus qu'un beau jeune homme plein de charme, pianiste à la Radio polonaise, dans les années trente du siècle dernier. Il est temps que justice soit rendue à l'action artistique de cet Orphée polonais que l'on chercherait en vain dans les dictionnaires spécialisés, alors qu'il a marqué la vie musicale de son pays pendant des décennies. Voici donc un hommage à son œuvre compositionnelle, du moins à la partie subsistante qui, à l'exception du Concertino et de la Petite Ouverture, est présentée ici en premiers enregistrements mondiaux. Outre son œuvre de pianiste, qui commence depuis peu à être disponible en disque, ses compositions témoignent de la diversité d'un talent dont le champ d'action créatif fut limité à son pays, de son vivant, à cause de la conjoncture politique.

Né en 1911 à Sosnowiec, Szpilman a reçu tout d'abord sa formation musicale à l'Académie Chopin de Varsovie où il a étudié le piano avec les élèves de Liszt Joseph Smidowicz et Alexander Michalowski. Comme tant d'autres musiciens polonais, il fut attiré ensuite par Berlin où il s'est perfectionné auprès de Leonid Kreutzer et Artur Schnabel ; en tant que compositeur, il fut en apprentissage dans la classe renommée de Franz Schreker. En 1933, il rentra en Pologne où il commença une brillante carrière de soliste tout en donnant des concerts comme partenaire de musique de chambre de violonistes aussi célèbres que Henryk Szeryng, Roman Totenberg, Ida Händel et Bronislaw Gimpel. En 1935, il devint le pianiste officiel de la Radio polonaise. C'est dans cette fonction qu'il donnait un récital Chopin, le 23 septembre 1939 lors de la dernière émission en direct de la radio, comprenant, entre autres, le Nocturne en do dièse mineur qu'il devait jouer plus tard à son sauveur Wilm Hosenfeld et avec lequel il fit redémarrer les émissions de l'antenne de Varsovie en 1945. Après la guerre, Szpilman a apporté une contribution majeure au rétablissement de la vie musicale polonaise, il a dirigé le département de musique de la Radio polonaise jusqu'en 1963. En 1961, il a fondé le premier festival polonais de musique populaire Musique sans frontières de Sopot. Après les expériences traumatisantes de la guerre, il ne put reprendre sa carrière de soliste concertiste, n'étant plus en mesure d'en supporter la tension nerveuse. Mais il enregistra d'innombrables programmes en solo pour la radio (parmi lesquels de nombreuses créations) et continua à donner des concerts de musique de chambre, essentiellement avec son ami le violoniste Bronislaw Gimpel avec lequel il fonda en 1963 le légendaire « Quintette de Varsovie ». Cette formation de musique de chambre, alors unique au monde, se produisit jusqu'en 1986 lors de centaines de tournées de concerts dans le monde entier.

Au delà de ceci, la grande passion de Szpilman allait à la composition ; il est donc plus que regrettable, connaissant les quelques œuvres conservées, que la plus grande part de ses œuvres d'avant guerre ait été perdue lors de la destruction de Varsovie, entre autres un Concerto pour violon qui avait été interprété par Roman Totenberg, Bronislaw Gimpel et Konrad Winawer. Peut-être qu'un jour, une copie réapparaîtra dans une succession ou des archives, comme ce fut le cas pour la suite pour piano - La vie des machines, écrite en 1933 à Berlin, dont une copie fut retrouvée après la mort de Szpilman, en été 2002, dans la succession de Jakob Gimpel, le frère de Bronislaw Gimpel, à Los Angeles. Quant à Szpilman, il avait lui-même reconstitué de mémoire le dernier mouvement de cette suite, la Toccatina, comme d'ailleurs le Concertino, achevé au moment de la fermeture des portes du ghetto de Varsovie en 1940 (qu'il a enregistré en 1948 puis encore en 1968 avec l'Orchestre symphonique de la Radio polonaise sous la direction de Stefan Rachon) ainsi que la Valse dans le style ancien de 1936, restituée en 1968 et complétée par une nouvelle coda. De la vie musicale du ghetto, (quand des manifestations culturelles y étaient encore possibles) reste un témoignage touchant, une Mazurka dans le style de Chopin que Szpilman composa pour une revue. Elle devait vraisemblablement y servir d'ersatz au véritable Chopin, car les nazis avaient frappé sa musique - symbole sonore du combat de la Pologne pour son autonomie nationale et culturelle - d'un interdit d'exécution catégorique. Pour sa Paraphrase, Szpilman a écrit une série de variations jazz sur une chanson de sa composition datant d'avant guerre. Dans les Suites d'après des chansons d'enfant originales, quelques unes de ses plus belles chansons d'enfants, publiées dans les années cinquante, ont été rassemblées en trois suites pour piano seul. Pour l'Introduction à un film, il a utilisé de la musique qu'il avait composée en 1957 pour une production cinématographique polonaise et tchèque (dans laquelle on pouvait voir d'ailleurs Roman Polanski dans un rôle secondaire). La Petite Ouverture a été écrite en 1968 sur commande de la Radio, alors que Scène de ballet, datant de la même année, a été conçu à l'origine comme musique de ballet pour un conte de Grimm puis exécuté comme pièce de concert autonome. Que ce soit la Valse dans le style ancien, ou le Concertino, la Paraphrase ou la Petite Ouverture, ces pièces n'ont été jouées qu'à la radio du vivant de Szpilman, jamais elles n'ont connu d'exécution publique. Le Concertino a été créé en public par le Jewish Symphony Orchestra avec le jeune soliste Arthur Abbadi sous la direction de Noren Green, le 29 avril 2001 à Los Angeles, à l'initiative du petit-fils d'Arnold Schoenberg, Randol Schoenberg. Quant à la Valse et à la Petite Ouverture, on a pu les entendre live pour la première fois lors d'un concert commémoratif dédié à Szpilman le 10 septembre 2002 à la Philharmonie de Varsovie sous la direction d'Antoni Wit.

Szpilman lui-même n'avait aucune ambition pour la diffusion de ses œuvres symphoniques qu'il considérait sans doute, malgré leur originalité, pour des œuvres de circonstance. Aucune d'entre elles n'a été publiée de son vivant, ce n'est qu'après sa mort qu'elles sont parues aux éditions Boosey & Hawkes. Szpilman, que la guerre avait empêché de composer, ne renoua pas après la guerre avec le langage du modernisme contemporain dont il pouvait encore se sentir un représentant avec sa suite pour piano La vie des machines de 1933. Cependant, loin de délaisser l'avant-garde, il s'est engagé pour elle dans sa fonction de directeur de la musique à la radio. Witold Lutowslawski, qui faisait partie du groupe des gens courageux qui avaient aidé Szpilman à survivre après son évasion du ghetto, fut un ami proche pendant toute sa vie. Il en va de même pour la compositrice polonaise la plus importante du XXème siècle, Grazyna Bacewicz, dont il créa les œuvres. Il est possible que Szpilman, à côté de ses tâches très diversifiées dans la vie musicale d'après-guerre, se soit contenté de son immense succès dans le genre de la variété, un domaine où il a été sans concurrence pendant des décennies : Szpilman a composé avec une grande facilité environ 500 chansons dans les styles les plus divers, dont beaucoup sont encore aujourd'hui des classiques, 150 d'entre elles entrèrent au hitparade polonais. Avec l'album Wendy Lands chante la musique de Wladyslaw Szpilman, enregistré en 2002 à Los Angeles, des chansons polonaises étaient produites pour la première fois aux Etats Unis avec de nouveaux arrangements et des nouvelles paroles. Le rôle de Szpilman pour la musique populaire polonaise doit être compris surtout dans le contexte politique de l'ère stalinienne. Il l'a cultivée et propagée selon le modèle occidental, surtout américain et français - donc « bourgeois, décadent » - à l'encontre des pressions esthétiques du réalisme socialiste et a contribué par là de manière essentielle à l'autonomie de la culture populaire de la Pologne face aux préceptes imposés par Moscou. C'est ainsi d'ailleurs que Wojciech Kilar, l'auteur de la musique de film pour The Pianist lui a rendu hommage : « Tout diplômé de conservatoire supérieur est capable de composer une symphonie qui sera peut-être même jouée une fois. En revanche, pour écrire une mélodie qui soit chantée et jouée par des centaines d'interprètes, il faut vraiment être né pour ça, si possible en Amérique. Wladyslaw Szpilman, notre Cole Porter, Gershwin, McCartney, pour notre bonheur (pas forcément pour le sien), est né en Pologne. »

Prises dans leur contexte biographique, les compositions pour orchestre de Szpilman qui nous sont parvenues ont quelque chose de dérangeant, car la gaîté et la joie de vivre qui s'y expriment, contredisent avec véhémence ce que l'on est habitué à entendre, voire à trouver acceptable comme musique dans le contexte de l'holocauste. On se demande comment il a pu travailler à son Concertino dans le ghetto alors qu'il était témoin quotidiennement des pires atrocités que des hommes puissent faire subir à d'autres. Mais on sait entre temps par nombre de compositeurs, musiciens, peintres et écrivains prisonniers des ghettos et camps de concentration des nazis que c'était justement leur art qui créait autour d'eux une oasis dans laquelle ils défendaient leur dignité humaine contre un système qui les privait de tous les droits de l'homme. Dans son introduction à l'édition de l'œuvre de Szpilman, Krystian Zimerman parle d'une « énergie positive » d'un « caractère presque de résurrection » dans la musique de Szpilman. On ressent en effet cette énergie dans les œuvres de Szpilman - comme d'ailleurs aussi dans son jeu au piano - une énergie qui ne paraît venir ni du ventre ni de l'intellect mais semble nourrie directement à la source de la vie. On a l'impression de sentir en elle cet élan vital qui l'a maintenu en vie durant toutes ces années d'angoisses mortelles et de privations physiques permanentes.

Mise à part la Suite pour piano de 1933, qui s'apparente au « style mécanique » répétitif d'Honegger, Antheil, Prokofiev ou Mossolow, toute la musique de Szpilman navigue entre les eaux de la musique savante et de la musique légère. Elle ne prétend surtout délivrer aucun message, dédaigne la grandiloquence, le geste emphatique. A l'ampleur épique elle préfère la concentration (avec sa durée de 12 minutes, le Concertino est la plus longue des œuvres conservées), à la profondeur de sentiments, la rupture par l'ironie. Szpilman aime le déguisement, jouer avec les idiomes qui peuvent, comme dans le Concertino, jaillir en scintillant comme dans un kaléidoscope. C'est un pianiste compositeur qui est à l'œuvre ici, évoquant avec un clin d'œil tour à tour les maîtres vénérés Chopin, Rachmaninoff et Ravel pour finir par s'avouer contemporain de Gershwin. Quant à la Scène de ballet, c'est en quelque sorte de la musique sur la musique : elle manie des figures de la musique de ballet qui paraissent familières sans être pourtant localisables sur le plan stylistique, comme si le Faune de Debussy s'était perdu dans le Sacre de Stravinsky. Comme son jeu au piano, la musique de Szpilman est fortement marquée par l'élément rythmique, l'impulsion de la danse y est omniprésente. Dans la Paraphrase, véritable recueil d'harmonie savante de jazz, Szpilman swingue dans le style du big band des années 40 alors que dans sa Valse dans le style ancien, il fait preuve d'un mimétisme virtuose. Comme l'a remarqué fort justement le journaliste musical américain Robert Everett-Green : « c'est une musique pour une salle de bal qui n'a existé qu'à Hollywood, du temps où les compositeurs juifs exilés Erich Korngold et Max Steiner y donnaient le ton ». Chacune de ces œuvres est un prototype à sa manière et montre dans combien de directions le talent compositionnel de Szpilman aurait pu se développer, s'il avait poursuivi sa carrière en exil en Amérique, comme tant de compositeurs persécutés en Europe en raison de leurs origines juives, au lieu de revenir en Pologne. Sans doute serait-il vraiment devenu un Gershwin polonais, titre qu'on aime tant à lui décerner.

© Frank Harders-Wuthenow (Traduction Catherine Fourcassié)

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